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Rapport mondial de suivi sur l’éducation 2021-2022

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Image credit: Jonathan Hyams/Save the Children

Étant donné la grande diversité des types d’établissements scolaires non étatiques, il est impossible d’établir une simple dichotomie public/privé. En outre, le rôle des acteurs non étatiques s’étend bien au-delà de la prestation de services éducatifs et englobe de nombreuses autres interventions à différents niveaux d’éducation et par le biais de multiples canaux d’influence. Pour les décideurs, la question ne consiste pas seulement à déterminer si l’implication des acteurs non étatiques dans l’éducation répond aux normes de qualité convenues, mais aussi à savoir comment ces acteurs facilitent ou entravent les efforts visant à garantir l’équité et l’inclusion dans le domaine de l’éducation.

Deux orientations stratégiques relatives au financement et à l’offre ressortent de la mission des gouvernements consistant à protéger et honorer le droit à l’éducation. Premièrement, les gouvernements se sont engagés en 2015 à garantir un accès gratuit et financé par des fonds publics à une année d’enseignement préscolaire ainsi qu’à 12 années d’enseignement primaire et secondaire pour tous les enfants et les jeunes. Néanmoins, un pays sur trois consacre moins de 4 % de son PIB et 15 % de ses dépenses publiques totales à l’éducation : ils sont donc encore trop nombreux à ne pas affecter les fonds nécessaires au respect de cet engagement. Deuxièmement, les gouvernements doivent décider de l’importance du rôle qu’ils joueront dans la prestation et la gestion des services éducatifs. Leurs perspectives vis-à-vis de la possibilité de choix de l’école et des acteurs non étatiques varient considérablement.

Divers acteurs non étatiques occupent désormais une place plus importante dans de multiples aspects de l’éducation. Les entreprises déterminent si l’éducation constitue une activité lucrative et comment commercialiser leurs biens et services, mais aussi à qui elles doivent rendre des comptes : uniquement aux actionnaires ou à d’autres parties prenantes également ? Les ONG et les organisations de la société civile fixent leurs priorités et décident de la manière de les aborder : doivent-elles combler les lacunes ou demander à l’État de le faire ? Les fondations établissent également des priorités et déterminent la manière d’influencer la société et de collaborer avec les systèmes éducatifs. Les enseignants et leurs organisations font des choix qui peuvent renforcer ou éroder la confiance dans les systèmes éducatifs publics.

L’appel au ralliement du rapport — Qui décide ? Qui est perdant ? — est une invitation lancée aux décideurs à remettre en question leurs relations avec les acteurs non étatiques au regard de leurs choix fondamentaux : entre la liberté de choix et l’équité ; entre l’encouragement des initiatives (c’est-à-dire l’amélioration de la qualité à tous les niveaux du système) et la définition de normes (c’est-à-dire l’amélioration de la qualité pour tous les apprenants) ; entre des groupes de population aux moyens et besoins différents ; entre leurs engagements immédiats (c’est-à-dire 12 années d’éducation gratuite dans le cadre de l’ODD 4) et ceux qui doivent être réalisés progressivement (par exemple, l’éducation post-secondaire) ; ainsi qu’entre l’éducation et d’autres secteurs sociaux.

Les recommandations suivantes ont été formulées sur la base de ces informations afin de #RedéfinirLesRègles (de l’anglais #RighttheRules) et faire en sorte que l’équité dans le domaine de l’éducation soit protégée dans le cadre du financement, de la qualité, de la gouvernance, de l’innovation et de l’élaboration des politiques. L’objectif est de fournir une éducation de qualité tout en tirant parti des contributions potentielles des acteurs non étatiques sans faire de compromis en matière d’égalité. Mobiliser ce potentiel pourrait également mettre les gouvernements au défi de s’attaquer délibérément à la qualité médiocre et à l’inégalité de l’offre éducative publique. Ces recommandations s’adressent principalement aux gouvernements, qui doivent fournir des réponses claires à cinq questions principales du point de vue de l’équité et de l’inclusion. Cependant, elles sont également destinées à être utilisées comme outils de plaidoyer par tous les acteurs de l’éducation engagés à soutenir les progrès accomplis en vue de la réalisation de l’ODD 4. Elles appellent donc tous les acteurs, étatiques et non étatiques, à #RespecterLesRègles (de l’anglais #RightbytheRules).

1. Le financement de l’éducation favorise-t-il certains apprenants et en exclut-il d’autres ?

Respecter l’engagement à assurer la gratuité d’un an d’enseignement préscolaire et de 12 années d’enseignement primaire et secondaire – financement public n’est toutefois pas nécessairement synonyme de prestation publique dans la mesure où l’équité peut être garantie.

Les gouvernements doivent surveiller les dépenses consacrées à l’éducation payées directement de la poche des ménages au moyen d’enquêtes sur les revenus et les dépenses de ces derniers. Ils détournent souvent le regard des coûts moins documentés, qui exacerbent pourtant les inégalités.

Tous les prestataires, étatiques et non étatiques, doivent offrir les mêmes conditions à l’ensemble des élèves. S’engager à ce que l’éducation soit financée par l’État ne signifie pas que les services éducatifs doivent être dispensés par l’État dans leur intégralité. Tous les établissements scolaires doivent cependant être traités comme faisant partie d’un seul système bénéficiant de règles, d’un soutien financier et de mécanismes de contrôle communs.

Toute tentative de diversification de l’offre doit être conçue de manière à garantir l’équité. La sous-traitance de la gestion des écoles publiques, la subvention des coûts de fonctionnement des écoles privées ou l’octroi de fonds aux ménages afin qu’ils puissent fréquenter l’école de leur choix peuvent aisément finir par profiter aux apprenants les plus aisés.

Les écoles ne doivent pas sélectionner les élèves. Les pays s’engagent à lutter contre la discrimination dans l’éducation, un principe qui doit figurer dans les politiques d’admission des écoles. En outre, le droit des familles et des élèves de choisir leur établissement scolaire ne doit pas exacerber les inégalités.

Les prestataires non étatiques financés par l’État ne devraient pas facturer de frais. Tous les pays doivent viser à garantir la gratuité de l’enseignement préscolaire, primaire et secondaire. Cependant, de nombreux pays en sont encore bien loin. Même les établissements privés dépendant de l’État facturent des frais.

La recherche du profit est incompatible avec l’engagement à garantir la gratuité de l’enseignement préscolaire, primaire et secondaire. La réglementation ou l’interdiction de la recherche du profit peut permettre de lutter contre les politiques relatives au choix de l’établissement scolaire qui exacerbent les inégalités.

2. Tous les apprenants bénéficient-ils de la qualité d’éducation à laquelle ils ont droit ou certains sont-ils lésés à cet égard ?

Établir des normes de qualité qui s’appliquent à l’ensemble des établissements scolaires étatiques et non étatiques.

Les gouvernements doivent établir des normes de qualité qui s’appliquent à l’ensemble des établissements scolaires. Si les normes de qualité, qui couvrent non seulement les ressources, mais aussi les résultats, protègent ceux qui ont le plus à perdre, elles doivent également tenir compte de la sécurité et de l’inclusion ainsi que de la situation des écoles afin de les aider à progresser. L’application de ces recommandations devrait être évaluée pour chaque école, étatique ou non, et faire l’objet de rapports publics.

 

Les enseignants devraient être valorisés en tant que professionnels dans l’ensemble des établissements scolaires. Les qualifications des enseignants et les possibilités de perfectionnement professionnel ne devraient pas varier d’un prestataire à l’autre. La segmentation des marchés du travail des enseignants et de fortes inégalités en matière de rémunération et de conditions de travail mettent en évidence le dysfonctionnement d’un système éducatif. Les gouvernements doivent s’attaquer progressivement à l’ensemble des causes profondes de ces déséquilibres.

 

Des mécanismes d’assurance qualité doivent être mis en place en vue de contrôler l’application des normes. La supervision gouvernementale par le biais d’inspections scolaires, d’examens et d’évaluations de l’apprentissage doit être assurée de manière régulière, quel que soit le prestataire. Ces mécanismes doivent tenir compte de la capacité de mise en œuvre de l’État.

 

Les pays doivent renforcer leurs processus d’assurance qualité dans le domaine de l’enseignement technique, professionnel et supérieur. Lorsque les gouvernements subventionnent des individus ou concluent des contrats avec des entreprises pour promouvoir les programmes de formation, ils doivent protéger les populations les plus défavorisées, qui sont vulnérables à la fraude. Les universités à but lucratif ont ainsi attiré l’attention parce qu’elles dispensaient un enseignement de qualité minimale et qu’elles se livraient à des malversations.

Les gouvernements doivent veiller à ce que les cours de soutien privés n’aient pas d’impact négatif sur la qualité et l’équité du système. Les mesures politiques en la matière vont de l’obligation de détenir un permis d’enseigner à la tenue de registres en ligne en vue d’améliorer les mécanismes de contrôle. Des interdictions sont également envisageables, mais peuvent entraîner la création de marchés informels. Il convient dans l’idéal de s’attaquer aux causes profondes, telles que la faible rémunération des enseignants et les examens de fin d’études importants.

3. Les réglementations sont-elles efficaces et faisables ou entraînent-elles des conséquences négatives involontaires sur les apprenants issus de groupes défavorisés ?

Établir des processus communs de suivi et de soutien qui s’appliquent à l’ensemble des établissements scolaires étatiques et non étatiques.

Les gouvernements doivent être capables de concevoir et de structurer la manière dont ils souhaitent impliquer les acteurs non étatiques et communiquer cette vision au moyen de réglementations. Les réglementations doivent porter non pas sur des détails administratifs et des normes irréalistes relatives aux ressources, mais sur les processus et les résultats éducatifs, et être régulièrement révisées et adaptées de manière transparente et participative, avec la contribution des établissements scolaires étatiques et non étatiques.

Les prestataires de services éducatifs devraient toujours être réglementés en tant qu’entités éducatives par les autorités éducatives et non en tant que de simples entités commerciales par les régulateurs du marché. Certains prestataires sont réglementés en tant qu’entreprises dans les domaines de l’éducation et de la protection de la petite enfance, des cours de soutien privés et de la formation professionnelle. De même, d’autres prestataires sont supervisés par les ministères de la Protection sociale ou par les autorités religieuses.

Les réglementations doivent être simples, transparentes et efficaces. Le paradoxe réside dans le fait que la capacité réglementaire est au plus bas lorsque les besoins en la matière ainsi que les risques de corruption sont les plus élevés. Lorsque la capacité à contrôler et à faire respecter des règles difficiles à appliquer fait défaut, les réglementations deviennent inutiles et contre-productives.

Les gouvernements doivent réglementer le phénomène considéré en toute impartialité. Les processus de suivi et de soutien doivent être communs et montrer que les gouvernements se soucient de l’éducation de tous les enfants, quel que soit le type d’école qu’ils fréquentent. Les gouvernements doivent également établir une relation de confiance avec les prestataires non étatiques, en les incitant de façon adéquate à gérer efficacement leurs écoles.

Les bonnes idées en matière d’éducation sont-elles encouragées ou étouffées ?

Faciliter la diffusion de l’innovation à tous les niveaux du système éducatif pour le bien commun.

Les décideurs doivent être capables de repérer les innovations et de laisser aux bonnes idées le temps de mûrir. Personne n’a le monopole des bonnes idées. L’éducation est une entreprise sociale et un système complexe. Le défi pour les décideurs consiste à encourager l’innovation, surtout lorsque le grand public est susceptible de préférer la conformité à l’expérimentation.

Le gouvernement doit travailler en partenariat avec tous les acteurs en vue d’établir un système éducatif qui fonctionne pour tous, en privilégiant une approche consultative. Pour promouvoir l’innovation, il est nécessaire de créer un climat de confiance. En donnant la possibilité à de multiples acteurs d’interagir et de coopérer — notamment en mettant en place des plateformes à cet effet — le système d’éducation publique peut tirer profit de différents points de vue et de différentes sources d’expertise afin de préserver sa pertinence.

Les gouvernements doivent avant tout encourager l’innovation au sein du système d’éducation publique. Pour cela, ils doivent communiquer leur engagement en faveur de l’excellence. Ils doivent surveiller l’apprentissage et ses facteurs déterminants, évaluer les bonnes pratiques, fournir les ressources permettant aux praticiens d’échanger au sujet de leurs expériences, ainsi que mettre à l’essai et déployer les bonnes idées.

Les gouvernements devraient également chercher à tirer des enseignements auprès des acteurs non étatiques. Les approches autonomes, contextualisées et flexibles de l’enseignement ainsi que de l’apprentissage des apprenants issus de groupes marginalisés peuvent générer de nouvelles idées dont les gouvernements devraient tirer parti, tout en reconnaissant que le manque de capacités les empêche de surveiller et d’évaluer correctement les écoles publiques, sans parler des écoles non étatiques.

Le rôle du gouvernement est de créer un environnement propice à l’innovation. L’éducation ne doit pas être considérée comme un marché où des « producteurs » de biens et services éducatifs font concurrence à d’autres fournisseurs. Au contraire, les nouvelles idées doivent être partagées, testées et, si elles sont éprouvées, adoptées. Le rôle de l’État serait alors d’aider à les diffuser au sein du système éducatif, et celui des acteurs non étatiques serait de se les approprier pour le bien commun plutôt que pour des motifs économiques.

5. Toutes les voix ont-elles les mêmes chances de façonner le débat public sur l’éducation ?

Maintenir la transparence et l’intégrité du processus d’élaboration de politiques relatives à l’éducation publique afin de faire barrage aux intérêts particuliers.

Les décideurs doivent tenir compte des idées et des points de vue de toutes les parties prenantes. Mais tout comme les décideurs doivent se montrer ouverts aux opinions de toutes sortes, il est également essentiel que les communications avec les responsables publics portant sur la législation, les politiques et la réglementation relatives à l’éducation soient transparentes. Certains acteurs pourraient œuvrer en vue d’accroître leur part de marché ou leur pouvoir politique plutôt que pour le bien public.

Les gouvernements doivent surveiller le lobbying exercé par les intérêts particuliers et s’en protéger afin d’éviter qu’il n’influence de manière indue les politiques publiques. Pour maintenir la confiance dans les processus d’élaboration des politiques publiques, les gouvernements peuvent envisager, en fonction de leurs capacités, de mettre en œuvre un ensemble de mesures visant à promouvoir la transparence, notamment au moyen de lois relatives à la liberté d’information encourageant la divulgation des dons faits aux partis politiques et du contenu des réunions avec les hauts fonctionnaires, ainsi que de règles interdisant aux fonctionnaires sortants d’occuper des postes dont ils pourraient tirer des avantages personnels et interdisant aux lobbyistes et à leurs mécènes d’occuper des fonctions publiques. Ces recommandations s’appliquent également aux organisations internationales, qui requièrent toutes l’élaboration de politiques claires en matière de collaboration avec les acteurs non étatiques qui privilégient l’équité et l’inclusion.